Par Abdeslam Seddiki.
L’exposé présenté par le Wali de Bank Al-Maghrib, le 15 février dernier devant la commission des finances et du développement économique de la Chambre des Représentants, sur l’investissement au Maroc est pratiquement passé inaperçu et n’a pas bénéficié de l’intérêt qu’il mérite.
A cela plusieurs explications pourraient être avancées : d’abord il est intervenu dans un moment où la présence des parlementaires sur les « lieux de travail » est réduite au service minimum ; ensuite, il est venu dans un contexte où l’opinion publique et les médias qui en sont l’émanation sont préoccupés par des problèmes du quotidien tels que la sécheresse, la question du pouvoir d’achat suite au renchérissement des prix des produits de base ; enfin, la qualité de l’exposé du Wali de Bank Al-Maghrib d’une haute teneur analytique, voire théorique par moments, ne peut intéresser qu’une élite de la société et des journalistes commentateurs familiers aux questions économiques.
D’autant plus que cette fois-ci, et contrairement à ses sorties précédentes, Mr Jouahri n’a pas fait le « buzz » à travers ses critiques à l’égard de la classe politique et dont certains médias font leur dada.
Ceci étant, l’exposé de Mr le Wali, mérite sincèrement d’être enseigné à tous nos étudiants en sciences économiques qui, depuis quelques années, apprennent tout sauf les fondamentaux de l’économie à savoir la théorie économique et l’histoire des faits économiques.
A travers l’analyse de l’investissement au Maroc, d’un point de vue empirique et théorique, l’orateur a touché à des questions de fond relatives notamment à la nature de la bourgeoisie marocaine avec son comportement spéculatif, la faiblesse du rendement de cet investissement dans ses deux composantes : publique et privée, les blocages structurels à une croissance inclusive… Tout cela débouche sur un certain nombre de conclusions énoncées sous forme de perspectives.
Il convient de rappeler de prime abord l’effort d’investissement tel qu’il se dégage dans les comptes nationaux. En valeur, celui-ci a atteint en moyenne 32,2% du PIB entre 2000 et 2019 contre 25,6% comme moyenne mondiale et 29% pour les pays à revenu intermédiaire-tranche inférieure. Avec un taux pareil, certains pays, qualifiés de dragons, ont pu réaliser des miracles en réussissant à la fois leur décollage et leur rattrapage. Ce qui est loin d’être le cas du Maroc.
Ce qui constitue un paradoxe ou une « énigme » d’après la Banque Mondiale. Une telle situation est attribuable au faible rendement de l’investissement. En effet, le rendement est souvent mesuré par le coefficient marginal du capital (incremental capital output ratio (ICOR)), qui représente le nombre d’unités d’investissement (en % du PIB) nécessaires pour réaliser un point de croissance du PIB. Plus l’ICOR est faible, plus l’investissement est rentable. Avec un ICOR de 9,4 en moyenne durant la période 2000-2019, l’investissement au Maroc reste relativement peu rentable, en comparaison notamment avec les pays de la catégorie à revenu intermédiaire-tranche inférieure, où il atteint 5,7. Concrètement, un taux d’investissement de 32,2% avec un ICOR de 9,4 nous donne, ceteris paribus, un taux de croissance de 3,4%.
Un autre paradoxe de l’économie nationale réside dans sa faiblesse en matière de création d’emplois. Ainsi, le nombre d’emplois créés est passé d’une moyenne annuelle de 144 000 postes entre la période 1999 -2009, à près de 72 mille emplois entre 2010 et 2019, soit l’équivalent de 108 mille emplois en moyenne sur l’ensemble de la période 1999 -2019. Et on devine facilement que ce n’est pas à ce rythme que l’on parvienne à résorber la question du chômage.
Un troisième paradoxe, lourd de conséquences et plein d’enseignements, réside dans la faiblesse de l’investissement privé. Il ne représente que 35,5% du total. Le reste, soit 64,5% est représenté par l’investissement public. Ces chiffres sont à prendre nécessairement avec précaution pour au moins deux raisons : d’abord, il n’est pas précisé si les chiffres portant sur l’investissement public traduisent effectivement les dépenses réalisées ou reproduisent simplement les prévisions des lois de finances. L’écart entre les deux pourrait atteindre jusqu’à 30%.
C’est une différence de taille ; ensuite, et cela a été souligné par Jouahri, l’investissement privé demeure mal cerné en raison du manque d’un appareil statistique adéquat. « Les informations sur l’investissement privé au Maroc restent fragmentaires et disponibles mais le plus souvent après un certain délai, ce qui ne permet pas une appréciation à temps de son évolution ». Et le conférencier de plaider pour la mise en place d’un répertoire national des entreprises à l’instar de ce qui existe dans les pays avancés et dans certaines économies émergentes. Cela permettra de disposer d’une information fiable, exhaustive et à jour sur la situation de notre tissu économique.
Le quatrième paradoxe réside dans la structure de l’entreprise privée dominée par un tissu de PME et de TPME représentant plus de 90% de la population globale du tissu entrepreneurial. Qui plus est, en dépit des avantages multiples qui leur sont concédées, le nombre d’entreprises exportatrices actives ne dépasse pas 4309 en 2019, soit un ratio de 0,2 par mille habitants. Ce qui reste relativement faible et place le Maroc parmi les derniers de la classe. C’est un démenti aux déclarations mielleuses et triomphalistes sur les « performances à l’export » !
Dans de telles conditions, se fixer comme objectif de faire passer la part de l’investissement privé à 66 % au lieu de 35% à l’horizon 2035 comme le prévoit le NMD, objectif sur lequel table la prochaine chartre de l’investissement en cours de finalisation, est une gageure. Certes, l’objectif est louable à condition de ne pas déshabiller le secteur public pour habiller le secteur privé. Pour ce faire, il est impératif de procéder aux réformes de structure et, n’ayons pas peur des mots, de faire une véritable révolution comme cela a été fait pour la généralisation de la protection sociale. On ne fait jamais d’omelette sans casser les œufs !
A cet effet, nous souscrivons globalement aux recommandations de Bank Al-Maghrib consistant à :
améliorer la gouvernance en luttant contre la corruption, en consacrant les principes de mérite et de reddition des comptes ; faire émerger des champions aptes à lutter contre la concurrence internationale ; continuer à lutter contre les disparités et œuvrer pour une croissance plus inclusive et une distribution équitable des fruits de la croissance pour renforcer la cohésion sociale ; accélérer la mise en œuvre des réformes visant l’amélioration du climat des affaires ; accélérer la mise en œuvre de la loi cadre sur la fiscalité et procéder à des revues régulières de la dépense publique et de parachever la réforme des systèmes de retraite ; instaurer la culture d’évaluation dans le cadre d’une vision stratégique avec une priorisation des objectifs et des ressources.
Rédigé par Abdeslam Seddiki
A cela plusieurs explications pourraient être avancées : d’abord il est intervenu dans un moment où la présence des parlementaires sur les « lieux de travail » est réduite au service minimum ; ensuite, il est venu dans un contexte où l’opinion publique et les médias qui en sont l’émanation sont préoccupés par des problèmes du quotidien tels que la sécheresse, la question du pouvoir d’achat suite au renchérissement des prix des produits de base ; enfin, la qualité de l’exposé du Wali de Bank Al-Maghrib d’une haute teneur analytique, voire théorique par moments, ne peut intéresser qu’une élite de la société et des journalistes commentateurs familiers aux questions économiques.
D’autant plus que cette fois-ci, et contrairement à ses sorties précédentes, Mr Jouahri n’a pas fait le « buzz » à travers ses critiques à l’égard de la classe politique et dont certains médias font leur dada.
Ceci étant, l’exposé de Mr le Wali, mérite sincèrement d’être enseigné à tous nos étudiants en sciences économiques qui, depuis quelques années, apprennent tout sauf les fondamentaux de l’économie à savoir la théorie économique et l’histoire des faits économiques.
A travers l’analyse de l’investissement au Maroc, d’un point de vue empirique et théorique, l’orateur a touché à des questions de fond relatives notamment à la nature de la bourgeoisie marocaine avec son comportement spéculatif, la faiblesse du rendement de cet investissement dans ses deux composantes : publique et privée, les blocages structurels à une croissance inclusive… Tout cela débouche sur un certain nombre de conclusions énoncées sous forme de perspectives.
Il convient de rappeler de prime abord l’effort d’investissement tel qu’il se dégage dans les comptes nationaux. En valeur, celui-ci a atteint en moyenne 32,2% du PIB entre 2000 et 2019 contre 25,6% comme moyenne mondiale et 29% pour les pays à revenu intermédiaire-tranche inférieure. Avec un taux pareil, certains pays, qualifiés de dragons, ont pu réaliser des miracles en réussissant à la fois leur décollage et leur rattrapage. Ce qui est loin d’être le cas du Maroc.
Ce qui constitue un paradoxe ou une « énigme » d’après la Banque Mondiale. Une telle situation est attribuable au faible rendement de l’investissement. En effet, le rendement est souvent mesuré par le coefficient marginal du capital (incremental capital output ratio (ICOR)), qui représente le nombre d’unités d’investissement (en % du PIB) nécessaires pour réaliser un point de croissance du PIB. Plus l’ICOR est faible, plus l’investissement est rentable. Avec un ICOR de 9,4 en moyenne durant la période 2000-2019, l’investissement au Maroc reste relativement peu rentable, en comparaison notamment avec les pays de la catégorie à revenu intermédiaire-tranche inférieure, où il atteint 5,7. Concrètement, un taux d’investissement de 32,2% avec un ICOR de 9,4 nous donne, ceteris paribus, un taux de croissance de 3,4%.
Un autre paradoxe de l’économie nationale réside dans sa faiblesse en matière de création d’emplois. Ainsi, le nombre d’emplois créés est passé d’une moyenne annuelle de 144 000 postes entre la période 1999 -2009, à près de 72 mille emplois entre 2010 et 2019, soit l’équivalent de 108 mille emplois en moyenne sur l’ensemble de la période 1999 -2019. Et on devine facilement que ce n’est pas à ce rythme que l’on parvienne à résorber la question du chômage.
Un troisième paradoxe, lourd de conséquences et plein d’enseignements, réside dans la faiblesse de l’investissement privé. Il ne représente que 35,5% du total. Le reste, soit 64,5% est représenté par l’investissement public. Ces chiffres sont à prendre nécessairement avec précaution pour au moins deux raisons : d’abord, il n’est pas précisé si les chiffres portant sur l’investissement public traduisent effectivement les dépenses réalisées ou reproduisent simplement les prévisions des lois de finances. L’écart entre les deux pourrait atteindre jusqu’à 30%.
C’est une différence de taille ; ensuite, et cela a été souligné par Jouahri, l’investissement privé demeure mal cerné en raison du manque d’un appareil statistique adéquat. « Les informations sur l’investissement privé au Maroc restent fragmentaires et disponibles mais le plus souvent après un certain délai, ce qui ne permet pas une appréciation à temps de son évolution ». Et le conférencier de plaider pour la mise en place d’un répertoire national des entreprises à l’instar de ce qui existe dans les pays avancés et dans certaines économies émergentes. Cela permettra de disposer d’une information fiable, exhaustive et à jour sur la situation de notre tissu économique.
Le quatrième paradoxe réside dans la structure de l’entreprise privée dominée par un tissu de PME et de TPME représentant plus de 90% de la population globale du tissu entrepreneurial. Qui plus est, en dépit des avantages multiples qui leur sont concédées, le nombre d’entreprises exportatrices actives ne dépasse pas 4309 en 2019, soit un ratio de 0,2 par mille habitants. Ce qui reste relativement faible et place le Maroc parmi les derniers de la classe. C’est un démenti aux déclarations mielleuses et triomphalistes sur les « performances à l’export » !
Dans de telles conditions, se fixer comme objectif de faire passer la part de l’investissement privé à 66 % au lieu de 35% à l’horizon 2035 comme le prévoit le NMD, objectif sur lequel table la prochaine chartre de l’investissement en cours de finalisation, est une gageure. Certes, l’objectif est louable à condition de ne pas déshabiller le secteur public pour habiller le secteur privé. Pour ce faire, il est impératif de procéder aux réformes de structure et, n’ayons pas peur des mots, de faire une véritable révolution comme cela a été fait pour la généralisation de la protection sociale. On ne fait jamais d’omelette sans casser les œufs !
A cet effet, nous souscrivons globalement aux recommandations de Bank Al-Maghrib consistant à :
améliorer la gouvernance en luttant contre la corruption, en consacrant les principes de mérite et de reddition des comptes ; faire émerger des champions aptes à lutter contre la concurrence internationale ; continuer à lutter contre les disparités et œuvrer pour une croissance plus inclusive et une distribution équitable des fruits de la croissance pour renforcer la cohésion sociale ; accélérer la mise en œuvre des réformes visant l’amélioration du climat des affaires ; accélérer la mise en œuvre de la loi cadre sur la fiscalité et procéder à des revues régulières de la dépense publique et de parachever la réforme des systèmes de retraite ; instaurer la culture d’évaluation dans le cadre d’une vision stratégique avec une priorisation des objectifs et des ressources.
Rédigé par Abdeslam Seddiki